L'Empire d'encre et de mots

Royaume des nouvelles, feuilletons et kongossas

Terre des histoires courtes de mon cru. Point de repère pour aussi avoir accès à mes recueils de nouvelles déjà terminées et disponibles.
C'est aussi la terre de mes romans-feuilletons. Ils sont souvent publiés simultanément ici et sur mes autres pages sur les réseaux sociaux sous forme de saisons. Divisées en épisodes bihebdomadaires, avec des pauses entre les différentes saisons d'un même roman-feuilleton. Vote pour élire le prochain roman-feuilleton qui aura droit à sa seconde saison.
C'est enfin le vaste royaume où tu as accès à la vaste mosaïque des kongossas. Ce sont des nouvelles librement inspirées de faits réels vécus par des camerounais, et dont certaines histoires sont liées entre elles. Plusieurs sacs de kongossas sont prévus, tu trouveras ici les liens d'obtention des sacs qui t'intéressent.
Tu veux de petites balades plaisantes de quelques minutes dans l'empire, c'est ici !


Bonne année - Chapitre 1

Bonne Année

 

Note au lecteur : L'idée de cette histoire m'est venue exactement le 2 janvier dernier, et pour une fois depuis bien longtemps, je ne me suis pas posé plus de 100 questions avant de me lancer dans sa rédaction. C'est une histoire... qui ne laisse pas indifférent. Ou vous la détesterez dès les premières lignes (pour les plus réac, et les juges à l'emporte-pièces), soit vous serez curieux de savoir dans quel genre de monde les hommes n'ont pas honte de dire tout le bien (sic) qu'il pensent des femmes, et surtout quelles autres surprises l'histoire vous réserve. Attention : présence probable de beaucoup de termes qui paraitront étrangers aux lecteurs non camerounais. Pour avoir réponse à vos potentielles questions sur cet univers, veuillez m'interroger sur ma page Facebook, ou dans le forum de ce site. Sans plus tarder, je vous laisse découvrir ma Bonne année (avec un titre pareil, ça ne peut que bien se terminer... non ?)

 

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1

 

Rassemblés autour d'un feu de branches d'acacia sec que Mongo avait allumé dans un trou creusé dans le sol meuble et humide de la forêt, les six hommes profitaient des dernières lueurs des brandons mourants du foyer pour voler encore quelques brins de chaleur, avant de prendre quelques heures de sommeil, avec deux d'entre eux pour le premier tour de garde. Le tirage de la courte paille avait désigné Mongo et Kumane pour ce premier tour. Diwassa et Engolo prendraient le second tour, et le dernier tour serait assuré par Khari et Dulani. Ils avaient tout intérêt à avoir quitté la clairière avant que la pleine lune ait fini sa course nocturne dans le ciel noir de la forêt de Lhakam.


— Je déteste les femmes, murmura Khari après avoir craché dans le feu mourant, qui lâcha un bref feulement de protestation.


— On les déteste tous, ici, répliqua Mongo. Au moins pour cette semaine.


Son partenaire de garde, Kumane, se contenta de hocher la tête pour approuver ses paroles. Il avait eu la langue coupée, après qu'une notable du royaume l'avait dénoncé pour pratique obscène envers une de ses servantes. Elle l'avait vu stimuler la fameuse servante au niveau des parties intimes avec sa langue, dans les appartements des servants. La rumeur voulait que c'était par jalousie que la notable avait dénoncé Kumane, qui était l'un de ses Immaculés, surnommé Langue Agile pour ses talents dans certains domaines. Quelques mois plus tard, on trouvait la notable pendue dans sa chambre. On attrapa Kumane dans une ville frontalière de la capitale, près d'une semaine après son forfait. Et surtout en compagnie de la fameuse servante. Cette dernière était encore en prison, purgeant les trente ans de prison que la Negusi lui avait donné pour sa complicité dans ce meurtre affreux, qui avait ému une des plus grandes villes du royaume. Elle était la véritable meurtrière de sa maîtresse, pourtant. Son compagnon ‒ et proclamé par défaut meurtrier de la notable ‒ avait eu moins de chances. Les hommes en avaient si peu, depuis plus d'un siècle maintenant.


Diwassa avait lu le récit de Kumane sur le mur de leur cellule commune, au fur et à mesure qu'il le gravait à la pierre. Diwassa lui avait appris par la suite les rudiments de la langue des signes, que Diwassa parlait assez bien depuis plus d'un an, sur les trois qu'avaient duré sa formation à lui. Lui avait eu droit à un professeur plus réticent à lui apprendre la langue, mais il avait quand même fini par la connaître suffisamment pour la parler assez bien. Une compétence qui ne servait pas à grand chose quand on se trouvait en plein milieu d'une forêt plus immense que dix villages, pourchassé à mort depuis six jours par une quinzaine de femmes droguées au banga.


— Pour les défendre, répliqua Engolo à Khari sans cesser de faire tourner son filon de banga à la lueur des flammes, il faut avouer qu'elle nous rendent aussi bien cette haine. Surtout dans ton cas, Khari. Le violeur d'Okola.


— Ce n'est pas de ma faute si je les aime autant que je les déteste, dit Khari avec un haussement d'épaules blasé.


— La seule que j'aurais aimé me faire ne me sera accessible que si je survis à cette nuit, soupira Mongo.


— Autant dire jamais, dit Khari, ses yeux noirs dans son visage poupin reflétant d'un air sombre la lueur des flammes.


— Parle pour toi. Voilà déjà six jours que j'ai pu les semer ou les affronter sans perdre la vie. Plus qu'un seul jour à survivre, et je gagnerai ma liberté. Et sans doute ce qui se cache entre les cuisses de votre magnifique Negusi.


Le regard d'habitude placide du mercenaire vétéran se voila d'une lubricité que Diwassa ne lui connaissait que de réputation. On racontait que sa condamnation pour cette traque-ci était assez rapide. Vu le crime qu'il avait commis ‒ s'introduire dans les appartements privés de la Negusi sans invitation ‒, ce n'était que normal aussi. Ses dernières paroles, que seul un étranger pouvait prononcer tellement elles étaient sacrilèges, plongèrent un instant les autres prisonniers autour du feu dans un silence stupéfait.


— On ne doit notre survie jusqu'à maintenant qu'à de la chance pure, pour la plupart, dit Engolo, brisant le silence. Autant dire que la grâce de Sekou nous a bien couvert jusque-là. Bien que ce soit aussi en partie de sa faute si tous les hommes d'Alaba sont dans cette situation qu'on vit depuis plus d'un siècle.


— Je le déteste, lui aussi , dit Khari. Puisse-t-il danser le mbole pour l'éternité chez Zani.


Vive comme un cobra, la main d'Engolo ramassa une poignée de cendres chaudes et la balança au visage de Khari, qui laissa échapper un cri plus surpris que douloureux. Il se redressa de sa position accroupie avant de montrer les dents à Engolo. Les deux prisonniers étaient sur le point de se bondir dessus quand Mongo, le plus âgé de la bande, se dressa entre eux.


— Ne blasphème plus jamais en ma présence, pauvre violeur de mes deux, lâcha Engolo d'une voix neutre.


— Nous ne sommes pas dans un temple ici, Engolo, répliqua Mongo.


— Si tu m'as défiguré je vais t'étriper, prêtre, cracha Khari, se tatant le visage encore tâché de cendres comme pour s'assurer qu'elles ne lui avaient laissé aucune blessure sérieuse.


— Gardez plutôt vos forces pour nos poursuivantes, dit Diwassa.


Il cessa de se toucher le front ‒ où, comme le reste des proies de la cérémonie du Santini Negusi, la chamane avait traçé une glyphe avec une lame gravée de runes magiques ‒ quand il se rendit compte que le reste du groupe le fixait.


— Vous ne vous demandez pas comment cette glyphe fait pour éloigner les prédateurs de nous ? Demanda-t-il alors.


— Le glyphe est un mélange de deux mots en ancien bantu, dit Engolo. « Fuis » et « Sang ». Sans doute il y a une forme de magie qui avertit les prédateurs avides de sang de s'éloigner de nous.


— Ce qui explique sans doute pourquoi les petites bêtes et les antilopes ne nous fuient pas, conclut Diwassa.


— Bravo, les savants, dit Dulani de sa voix fluette, qui se dirigea de ses courtes jambes trapues à l'endroit où il avait planté sa machette, à la lisière de leur camp de fortune. Vous savez, je comptais moi aussi me poser ce genre de questions… après que je serais sorti vivant de cet enfer. Vous saisissez ?
Il fit des moulinets de sa main gauche avec sa machette, sa main droite amputée au niveau du coude, il y avait quelques jours de ça. Il était le seul survivant du premier groupe de prisonniers auquel il appartenait au début de la Santini Negusi. Son visage était un réseau de rides de dédain qui lui donnait bien plus que les cinquantes ans qu'il affirmait avoir. Ce qui faisait de lui le plus vieux du groupe après Mongo, dit « Le Fantastique ». Diwassa voyait mal Dulani survivre encore un jour avec eux, malgré sa frime. Il avait déjà perdu bien trop de sang quand ils l'avaient trouvé la veille, et si ça n'avait été son filon de banga ‒ qui, par chance, était bourré d'opium, et donc réduisait la douleur ‒ qu'il fumait de temps à autre durant leur périple, il serait sans doute dans un état plus déplorable.


— Reposez-vous, décréta Mongo. On a besoin du maximum de force pour cette dernière ligne droite. N'en déplaise à certains, je crois qu'on a toutes nos chances de nous tirer vivants de cette dernière semaine de l'année.


— La pire veillée de Nouvel An de ma vie, soupira Khari.


— La veillée du Nouvel An c'est demain, le corrigea Engolo.


— C'est vrai, dit Diwassa avec un sourire. Demain, si nous sommes encore vivants à minuit, nous serons des hommes libres, puisque ce sera le Nouvel An.


Quand Engolo souriait, Diwassa se rendait compte qu'il faisait bien moins vieux qu'il n'en avait l'air, avec ses dreadlocks sales. Il faisait bien l'âge de Diwassa. Donc vingt-cinq ans. Diwassa fut heureux de voir ce sourire d'espoir naître lentement chez Engolo après ses derniers mots, puis s'attarder un instant sur son visage, alors qu'il retournait toujours son filon de banga entre ses doigts.


— C'est vrai, dit-il en hochant la tête.


— Nous, répéta Khari.


Il s'était déjà couché dans son tas de feuilles mortes, sa machette posée devant lui comme une épouse fidèle. Ses pieds fendillés goûtaient encore les dernières bribes de chaleur du feu quand Mongo y versa de la terre pour l'éteindre. Il éclata d'un bref ricanement hystérique avant de fermer les yeux. Le silence qui suivit son rire ne fut brisé que par des cris sporadiques de singes, quelque part au nord, leur direction de la journée à venir. Le reste du groupe, sauf Mongo et Kumane, imitèrent le violeur quelques minutes après.

 

Fin du chapitre 1


08/01/2025
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Bonne année - Chapitre 10

Bonne année - Chapitre 10

 

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Diwassa se releva après avoir écarté le corps de Kissa, ainsi que ses organes internes, sur le côté. Il ne ressentait ni joie, ni peine. Se tournant vers la Negusi, il dit en s'inclinant devant Shani :


— Par ce Musango Nzoum, j'offre le corps de la coupable à la terre de nos ancêtres.


— Et les ancêtres acceptent ton sacrifice, dit Shani en inclinant la tête.


Au même moment, le son de fer d'un gigantesque gong se fit entendre à quelques kilomètres plus au nord, remplissant le vent et les bruits des bêtes nocturnes alentour qui le précédait.


— Il semblerait donc que tu aies survécu au Santini Negusi, dit Shani, les yeux plissés, sans sourire. Il est minuit.


— Il semblerait, Negusi.


— Dis-moi donc ce que tu souhaiterais comme récompense pour ton exploit. Je te propose deux alternatives, en cette nouvelle année de règne de la justice et du bien pour le royaume d'Alaba. Comme souvent, tu peux dès maintenant rejoindre l'ordre très privilégié de mes Maculés. Les seuls hommes du royaume à ne pas être asservis par d'autres femmes que moi, avec des privilèges équivalents à ceux des femmes, et un droit de vote lors des élections des notables de leur région. En échange, tu me devras loyauté et fidélité jusqu'au jour où l'un des Cinq Dieux décidera de te faire rejoindre son domaine éternel, pour la prochaine Grande Guerre de Mille Jours.


Diwassa hocha la tête, en attente de la seconde alternative.


— La seconde alternative serait que je ramène à ta demande l'esprit de Ngossi Azeufack dans son corps, que Jina aura soigné au préalable, avant de lui redonner le souffle de vie, puisque le délai de la neuvaine après sa mort n'est pas encore écoulé, et que tu as réussi avec brio à lui rendre justice.


— Shani ! S'insurgea la Ba'mbombog de sa voix rauque.


Shani se tourna lentement vers sa grande chamane, et Diwassa vit des ondes de pouvoir blanches s'échapper de la Negusi, lourdes, menaçantes, alors que les volutes du bâton de la Ba'mbombog semblaient vouloir se cacher devant celles de la Negusi.


— Voudrais-tu vraiment me voir en colère, Ba'mbombog ?


— Mais c'est le Porteur de Justice de la prophétie, Shani ! Gémit la grande chamane de sa voix douce en se recroquevillant dans sa robe.


Les volutes blanches cessèrent de s'échapper de son corps, et la Negusi parut surprise quand elle se retourna pour détailler Diwassa.


— Comment ?
— Ton incarnation actuelle n'en a peut-être plus le souvenir, mais les prêtresses de ton temple veillent. Cet homme est le Porteur de Justice, car comme le disent les paroles de l'oracle tutsi du prophète fou Soukoundjou :


Né second, inaccessible à ceux du premier,
Il apprendra la langue du silence
Et lui rendra justice, afin que de la mort viennent les mots
Par son…
— Il suffit, Jina, la coupa Shani, se frottant les yeux d'un air las. Je m'en souviens, maintenant.


— Très bien, dit Jina, ayant encore changé pour la voix rauque. Et tu te rends compte de ce que…


— J'ai dit, il suffit.
La grande chamane se tut, son masque inexpressif rivé sur Diwassa. Shani reprit la parole :


— Que choisis-tu, Diwassa, de l'engeance maudite de Sekou ?


— J'aimerais que vous rameniez Ngossi du voile de l'Entre-monde, ma mère Shani.


La Ba'mbombog frémit d'indignation devant la familiarité de Diwassa envers leur souveraine, mais ne parla pas.


— Ainsi soit-il, conclut Shani. Jina, accomplis le rite.


— Une âme pour une âme, répondit la grande chamane en maugréant de sa voix rauque, s'avançant néanmoins vers l'endroit où se trouvait le corps de Kissa.


— Tu prendras donc celle de la renégate pour remplacer celle que tu vas utiliser pour restaurer le corps de ma fille vengée. Tu es bien placée pour savoir ce qui se produirait si c'était moi qui faisais ce travail, Jina. Cesse de me bouder.


— Oui, Shani, dit-elle avec sa voix douce.


La grande chamane tendit son bâton vers le corps de Kissa, qui laissa échapper d'épais filets de fumée blanche, éthérée, qui se mirent à rougir en grésillant au contact du bâton, alors qu'un long cri d'agonie se faisait entendre le long du processus. Diwassa eut envie de demander à la Ba'mbombog ce qu'elle faisait, mais il eut peur qu'elle ne lui réponde en lui faisant subir le même sort, malgré la présence de sa souveraine. Comme si elle avait vu sa crainte dans sa tête, Jina tourna brusquement la tête vers lui, et lui dit de sa voix douce :


— Un jour, ce sera toi que je mettrai dans mon bâton, Marchepied.


Diwassa se mordit la lèvre pour ne pas répondre.


En faisant voleter d'une manière théâtrale un pan de sa vaste robe, Jina fit volte-face pour aller vers le corps de Ngossi, suivie quelques pas en arrière par Diwassa. Sous la lumière du feu qui mourait déjà, Diwassa constata que même le toucher mortel de Zani avait à peine entamé les traits délicats de Ngossi. Il se retint encore pour quelques instants de se jeter à ses pieds pour la prendre dans ses bras.


— Belle, commenta Jina de sa voix rauque, détaillant le corps inanimé. Quel gâchis ça a failli être. Et surtout quel gâchis ce sera ! Pouah !


Puis, presque avec réticence, elle toucha les pieds nus de Ngossi avec son bâton, et dit de sa voix douce :


— Par Zanate, je rappelle cet enfant du grand Voile.


Un filet de fumée rouge quitta le bâton et s'éleva dans les airs avant de disparaître. Jina toucha ensuite la tête de Ngossi, puis poursuivit :


— À Zani l'Incorruptible, j'offre un loa venu des Terres Sans Dieux.


Un autre filet de fumée rouge, plus épais que le premier, quitta le bâton pour entrer dans la tête de Ngossi. La grande chamane leva ensuite son bâton au-dessus du corps et dit de sa voix rauque :


— Par Zayaya, je redonne à cette fille le don des mots qu'un loa vengeur lui avait pris depuis les entrailles de sa mère !


Un filet de fumée quitta le bâton et intégra le corps de Ngossi par la bouche. Jina se mit ensuite à danser autour du corps en agitant son sceptre :


— Par Zukulu, poursuivit-elle dans un grondement, je lui redonne le savoir et la folie de sa vie antérieure !


Plusieurs filets de fumée s'étaient échappé du bâton et flottèrent en dansant autour de Jina avant d'intégrer aussi le corps de Ngossi. Puis, après avoir baissé le col de la robe marron de Ngossi jusqu'à la naissance des seins, la Ba'mbombog cracha une énorme glaire sur sa poitrine et dit de sa voix douce :


— Par Zambe, ainsi soit-il.


Ngossi prit une inspiration brusque en se redressant, et la Ba'mbombog dit à Diwassa de sa voix douce teintée de solennité ironique :


— Vous pouvez embrassez votre reine, Marchepied.


Diwassa, qui se tenait jusque-là à distance respectueuse des deux femmes, avança vers elles, puis se baissa pour prendre une Ngossi encore surprise dans ses bras.


— Oh… dit-elle, surprise de sa propre voix. Oh !


— Oui, Ngossi, dit Diwassa, des larmes silencieuses coulant de son visage, tu parles.


Il rompit leur accolade pour la saisir par les épaules, un sourire de joie pure aux lèvres.


— Tu parles !


— Oh ! Dit Ngossi avec un sourire reconnaissant. Oui ! Je… Je…


— Ne me dites surtout pas merci, espèce de couple de poux, grogna la Ba'mbombog de sa voix rauque.


— Je vous ai déjà dit que je vous aimais, vénérable Ba'mbombog, dit Diwassa.

 

— Et moi je te hais de toutes les fibres de mon corps, Marchepied doublé de laid bébé, dit-elle de sa voix rauque.


Elle contourna avec une précaution exagérée les jambes de Ngossi, qui continuait de pousser des « Oh ! » et des « Ah ! » tous les deux battements de cœur, avant d'interpeller Shani, qui observait le groupe à distance, l'air nostalgique.


— Tu te rends compte de ce que tu viens de faire, A Shani ? L'Apocalypse a commencé ! Sekou va revenir, et ce sera ce petit connard son guide !


— Il me manque, Jina, dit Shani alors que des larmes coulaient de ses yeux.


La Ba'mbombog cessa de s'avancer vers elle, l'air interdite.


— Ce mâle dominant ? Cette brute ? Ce coureur de jupons ? Ce guide de conquérants aux doubles cervelles écervelées ? Ce…


— Oui, Jina, malgré tout ça, il me manque. J'étais lui, et il était moi. Aucun homme en ce monde ou dans les autres ne pourrait me faire rire comme lui le faisait, et me rendre heureuse comme lui le faisait, il y a longtemps. Je l'aimais, je l'aime et je l'aimerais toujours, Jina. Et ça, peu m'importe les prophéties, mon manque de prudence actuel ou ce que j'ai dû faire, pour le bien d'Alaba, et de mes enfants, qui ne comprennent pas tous de quoi j'ai sauvé le monde.


Shani disparut en un battement de cils, pour apparaître dans un sifflement bref à deux pas du couple, les fameuses volutes magiques blanches s'échappant de son corps par dizaines, comme les haillons d'écume d'une Mami-Water.


— Mais si cet homme est vraiment le porteur de Justice et qu'il me trahit un jour, poursuivit-elle en fixant Sekou d'un air impérieux, je me prostituerai mille ans chez Zani pour avoir le privilège de le tuer mille et une fois, car je suis la Negusi, et que plus jamais un homme ne me fera vivre tous les tourments que Sekou m'a fait vivre durant nos derniers siècles de vie commune.


Pendant son discours, un vent violent s'était levé, et il tomba au moment où le silence remplit sa bouche à nouveau. Jina faisait de petits pas de danse de jubilation dans son dos. Diwassa hocha la tête.


— Je ne vous trahirai jamais, ma mère Shani, dit-elle avec solennité.


— Bien, dit-elle d'une voix radoucie. Es-tu conscient que par ton choix, tu viens de te condamner à nouveau à ma justice royale et divine malgré ton exploit ?


— Oui, Negusi.


— Aimes-tu ma fille, engeance de Sekou ?


— Oui, Negusi.


— Plus que ta vie ?


— Sans elle je ne serais sans doute plus en vie, Negusi.

 

La Negusi haussa un sourcil devant cette réponse énigmatique, puis hocha lentement la tête avant de déclarer :


— Dès aujourd'hui, je décrète que Diwassa, frère jumeau de Diwassi, ma fille bien-aimée qui fait partie de l'ordre des amazones, est mort dans la forêt de Lhakam, et avec lui, tous ses péchés passés, ainsi que son immunité aux mots de pouvoir des reines d'Alaba. En ce jour est né un noble Azeufack. Quel nom a cet Azeufack ?


Diwassa réfléchit un moment, puis se décida.


— Ngachu, Negusi.


Ngossi eut un un sursaut et pressa le bras de son bien-aimé.
— Non… dit-elle.


— Si, ma reine, dit Diwassa. Parce que je veux laver le nom de ta famille, à présent, et parce que si je devais choisir les noms des autres personnes que j'aimerais restaurer la mémoire, je devrais en demander trop, à ma mère, en ce soir spécial.


La Negusi le toisa. Il savait qu'elle avait lu dans son esprit les noms qu'il voulait prendre. Ceux de ses plus illustres compagnons morts dans la forêt. Mongo, Engolo et Kimane.


— Ainsi soit-il, dit la Negusi. Relève-toi avec ton bien-aimé, Ngossi Azeufack.


Sans peine, Ngachu Azeufack, anciennement Diwassa, aida son épouse à se relever.


— Je vais t'intégrer dans mon palais en tant que Maculé Sacré. Ce qui signifie que même moi, Shani, n'aurai pas le droit de te mettre sous mon pouvoir ou dans ma couche tant que ton épouse, Ngossi Azeufack, sera en vie.


Une vague de soulagement traversa Ngachu, qui hocha la tête de gratitude pour ce privilège que lui accordait la Negusi. Après les tempêtes dans leurs vies, un horizon calme se profilait enfin pour eux.


— Bonne année, les mariés, dit Shani.


— Bonne année, Shani, dirent en chœur les Azeufack.

Fin de l'histoire


09/01/2025
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Bonne année - Chapitre 9

Bonne année - Chapitre 9

 

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La première personne qui franchit le portail portait un masque blanc en os, représentant le squelette de quelque bête de cauchemar des temps anciens. Une vaste et lourde robe pourpre ornée de symboles mystiques couvrait sa silhouette, alors que sa main gauche tenait un bâton surmonté d'un crâne de singe poli, luisant de volutes rouges similaires à celles du portail. La Ba'mbombog, grande chamane du royaume d'Alaba, était la plus haute autorité spirituelle du royaume, juste après la Negusi Shani Keondra.


La Negusi elle-même sortit du portail peu avant que les volutes de fumée ne se dispersent au quatre vents. Nue comme depuis le jour de son intronisation, elle avait les hanches larges et une poitrine fournie qui s'affaissait déjà quelque peu. Derrière son visage d'un ovale parfait et des yeux en amande noirs marqués des premières pattes d'oie, ses longs cheveux noirs, luisant de quelque huile secrète leur conférant un charme onirique, rasaient l'herbe derrière ses pas avec un bruissement plus doux que le baiser d'une amante. Malgré ses quarante-cinq années de vie, la Negusi Shani Keondra, l'Eternelle Réincarnée, dégageait une aura de sensualité qui n'avait besoin d'aucun atour pour la rehausser. Il se disait que la Negusi se couvrait de vêtements aussi souvent qu'elle quittait le royaume, pour ne pas ébranler les esprits des souverains étrangers qu'elle visitait en ces occasions-là.


— Marchepied, dit une voix rauque, presque masculine, derrière le masque de la Ba'mbombog. Viens mourir.


— Comme il vous plaira, Ba'mbombog, répondit Diwassa après s'être redressé, puis incliné devant les deux apparitions, le calme l'envahissant le surprenant lui-même. Mais une fois que j'aurai lavé la dignité d'une fille de ma mère ici présente, qu'une renégate au rituel de la Santini Negusi a foulé du pied durant l'essentiel de la vie de sa victime.


— Tu n'as pas à me dire quand je peux t'ôter la vie, Marchepied, dit une voix douce depuis le masque.
Diwassa leva la tête pour fixer le masque, et se rendit compte que la Negusi se tenait déjà à un bras de lui. Il ne l'avait pas entendue avancer, et elle ne fit qu'un pas de plus avant de tendre sa main vers le visage de Diwassa, une odeur entêtante de musc se dégageant d'elle. Une caresse sur la joue droite de Diwassa. Jamais une femme ne l'avait touché avec autant de tendresse, et son second cerveau stupide entre ses jambes réagit immédiatement à cette manifestation d'intérêt de la Negusi, gonflant son pantalon. Les yeux de Shani, deux puits d'obsidienne liquide, où Diwassa sentait son âme se dissoudre, alors que ses lèvres pulpeuses s'entrouvaient pour murmurer un mot d'une voix mélodieuse, qui dansa jusqu'au corps de Diwassa :


Ossouan.


Diwassa s'agenouilla avec tant de violence qu'il entendit ses rotules craquer, sans doute fracturées sous le choc. Le charme qu'elle lui avait lancé par sa caresse aussi brutalement rompu, Diwassa se retint, les larmes aux yeux, de hurler devant la déesse. Tout le monde savait que tout homme qui haussait le ton devant elle faisait battre son cœur pour la dernière fois avec sa bravade. Diwassa était mort d'office pour l'avoir invoquée, en tant qu'homme, avant la fin du rituel de la Santini Negusi. Mais il savait aussi qu'il avait piqué sa curiosité avec ses paroles. Nul besoin de l'ennuyer avec un cri, fut-il inéluctable en d'autres circonstances.


— Bien, dit-elle, clignant lentement des yeux. Tu as parlé de justice, Diwassa. Comment un homme impur peut-il comprendre le sens d'un tel mot ?


— Shani, dit la Ba'mbombog de sa voix rauque, laisse-moi tuer celui-ci. Il a enfreint les règles, et c'est un homme. Sa simple existence dans cette forêt est un péché. Je vais le purifier avant qu'il n'aille se présenter devant Zani.


— Je veux l'écouter d'abord, Jina, répondit Shani de sa voix mélodieuse sans cesser de fixer Diwassa d'un air rêveur. Il fait si longtemps qu'un homme ne m'a pas appelé par mon nom. Permets-lui de me divertir avant que je ne décide de son destin. Lève-toi, Marche… (elle poussa un soupir de lassitude) Diwassa, fils de Kingue, de l'engeance maudite de Sekou.


La douleur dans les rotules de Diwassa l'empêchaient même de chercher à faire un mouvement, et c'est avec le même calme qui l'entourait depuis l'apparition de Shani qu'il dit :


— Je ne le puis, ma mère.


— Et pourquoi ça ?


— Mes rotules sont brisées, ma mère. Pardonnez ma promptitude à avoir succombé à vos paroles.
La Negusi pencha la tête sur le côté eut un sourire magnifique.


— C'est vrai, en effet. Je vais donc de ce pas aller m'entretenir avec l'âme de la concernée. Ne bouge surtout pas, en attendant, ajouta-t-elle après s'être penchée pour déposer un baiser sur les lèvres de Diwassa.


— Oui, Shani, répondit-il.


Alors que Shani le traversait pour aller vers le corps de Ngossi, Diwassa vit la Ba'mbombog frémir d'irritation devant le sursis que la Negusi avait accordé pour un temps à sa victime. Elle se ressaisit bien vite, pour reprendre la parole avec sa voix douce, qui rappelait à Diwassa celle de sa mère. Il détestait sa mère.


— Alors, Marchepied ? Demanda-t-elle. Tu souffres ?


— J'ai connu pire, dit Diwassa.


— Et tu connaitras encore pire très bientôt, crois-moi.


Ne voulant pas entrer dans son jeu pour dire quelque chose qui justifierait sa mort prématurée, Diwassa tordit le cou, évitant de bouger ses jambes, pour voir ce que faisait la Negusi. Elle se tenait devant le corps physique de Ngossi, tandis qu'une forme astrale, éthérée, de la muette, se dressait au-dessus du corps. La Negusi tenait la tête de l'esprit de Ngossi entre ses mains, et elles avaient une conversation à demi-voix.


Diwassa se détourna de la scène quand il entendit l'herbe frémir devant lui. La Ba'mbombog se tenait à présent à deux pas de lui.


— Tu ne l'aimes pas, tu sais ? Murmura-t-elle de sa voix rauque. Tu n'apprécies chez elle que le fait qu'elle ne puisse pas t'asservir avec les mots de pouvoir.


Diwassa serra les dents.


— Si vous le dites, Ba'mbombog.


— Et tu ne veux pas la venger. Tu veux juste continuer de tuer impunément le plus de femmes possibles. Vous n'êtes tous que des brutes qui n'ont de bon que la semence qui permet de faire venir au monde les vraies dirigeantes de ce monde.


— Si vous le dites, Ba'mbombog.


Le sceptre de la chamane frémit dans sa main, la fumée rouge s'en échappant avec plus de fureur.


— Tu savais que tu n'avais plus aucune chance de te tirer vivant du rituel, alors tu t'es servi d'une information que cet abruti de prêtre de Sekou a dû te donner durant votre périple dans la forêt sacrée. Le genre d'informations qui t'auraient sans doute exempté de passer par l'illégalité pour tuer ces femmes. Assassin ! Salop !


— Je vous aime aussi, Ba'mbombog, sourit Diwassa.


La Ba'mbombog, furieuse, leva le sceptre, sans doute avec l'intention de jeter un mauvais sort à Diwassa.


— Il suffit, Jina, dit Shani dans le dos de Diwassa, qui se retourna. Le jeune Diwassa est dans son droit. L'injustice appelle la justice. Les Cinq Dieux avaient puni l'engeance d'Azeufack, et ses tortionnaires se sont substituées aux Cinq Dieux et à moi pour établir leur justice.


Tout en parlant, elle s'était rapprochée, tenant un étroit rouleau de papyrus usé entre ses doigts. Elle tendit la main libre, et la machette plantée derrière la Ba'mbombog s'arracha du sol et vint en vrombissant, comme attirée par une pierre de fer magique, se coller dans la main de la Negusi. Elle se plaça devant Diwassa, les deux objets dans sa main :


— L'une de mes plus fidèles filles a brisé l'esprit de la Santini Negusi pour assouvir une justice personnelle irraisonnée. Elle avait sans doute compté sur tout l'amour que je porte à mes filles pour se sortir sans trop de mal de ce sacrilège, mais s'il ne s'était agi que d'un fils de Sekou, j'aurais sans doute fermé les yeux. Mais elle a tué l'une de ses sœurs. Le sang appelle le sang. Qu'elle défende le sien, face au représentant de ma fille absente, que je vais bénir avec huit sorcelleries. Cette nuit accueillera un Musango Nzoum, pour la justice sur ma fille Ngossi Azeufack. Que les combattants se préparent.
Sur ces mots, Shani tendit la machette et le filon de banga à Diwassa, qu'il lui prit avec déférence.


— Que ton sang brûle des huits dons de Zanate, Diwassa, fils de Kingue, bourreau de Ngossi Azeufack.
Shani leva la tête pour regarder Kissa, qui observait la scène avec de la haine déformant les traits de son visage, son corps tendu, comme un lièvre face à un léopard au fond de sa tanière.


— Ma fille, tu souhaitais prendre la vie de ce meurtrier dans les ombres du sacrilège. Une chance inespérée t'es donnée de te sortir vierge de toute punition consécutive à ton écart, et de laver le sang de tes sœurs que cet homme a pris. Le Musango Nzoum cessera quand le corps sans vie de l'un de vous nourrira la terre de la forêt sacrée.


Shani baissa à nouveau les yeux sur Diwassa.


— Veux-tu te battre à genoux ? Dit-elle avec un léger sourire.


Diwassa cilla, puis baissa les yeux sur son filon, qui s'enflamma spontanément par un bout. Diwassa le fuma alors, et il comprit pourquoi les amazones se croyaient si divines.


Il sentit la sorcellerie de la régénération soigner toutes ses blessures légères et profondes écopées depuis le premier jour de sa semaine infernale, y compris ses récentes fractures. La sorcellerie de l'endurance apaisa les battements de son cœur, chassant toute trace de l'engourdissement que son corps et son esprit avaient jusque-là. La sorcellerie de la vision lui fit voir combien le triangle de poils qui couvrait l'intimité de la Negusi était si soyeux et humide, lui rappelant à quel point la femme la plus désirée au monde était proche de lui. Quand il sentit la sorcellerie de la force se déverser en lui, il se rendit compte que sa machette pesait à présent moins qu'une plume dans sa main. Quand il se remit sur ses pieds, ce fut sans prendre appui de ses mains pour se redresser. Il se leva juste en dépliant les genoux, en un mouvement aussi fluide que ceux qu'il enviait à ses poursuivantes de ces derniers jours. La sorcellerie des réflexes était merveilleuse. Il avait conscience de la présence des autres sorcelleries qui circulaient dans son corps. Celle de l'anti-douleur, ainsi que celle de la mémoire et de la peau de crocodile.


Après avoir remercié la Negusi d'un léger signe de tête, il se retourna avec souplesse vers son adversaire, qui avait ramassé une machette posée près du feu, et dégainé une de ses deux lances dans son dos.


— C'est sans doute mieux comme ça, Marchepied, dit Kissa après un grand rire. Comme ça, tu ne diras pas à Zani que tu l'as rejoint en mourant lâchement face à une don'ga. Je n'ai jamais eu besoin de la sorcellerie de la régénération pour tuer quiconque. Je suis Kissa Kizangani, et ce soir, je vengerai mes sœurs disparues en leur offrant leur meurtrier comme esclave dans leur palais chez Zani !


Diwassa, en silence, s'avança vers elle, sa machette foulant l'herbe au rythme de ses pas. Kissa montra les dents et poussa le fameux cri de guerre, en trille assourdissante, des amazones sur un champ de bataille. Puis elle s'élança à la vitesse d'un guépard sur sa proie. Malgré sa vision et ses réflexes surhumains, Diwassa parvint à peine à dévier le coup de taille venant de sa gauche, et ne put rien faire d'autre qu'exposer son épaule pour protéger son torse du coup de lance en estoc que Kissa destinait à son cœur. Malgré la sorcellerie de la peau de crocodile, la pointe de la lance s'enfonça profondément dans sa chair, mais sous l'effet de la sorcellerie de l'anti-douleur, Diwassa ne ressentit qu'une sensation de piqûre d'aiguille.


Il tenta de décapiter la don'ga, mais elle se désengagea et s'écarta sur le côté droit de Diwassa, pour balancer sa machette et sa lance en une série de frappes aussi violentes qu'invisibles, tant elles étaient rapides. Reculant devant la fureur de la don'ga, Diwassa ne parvenait qu'à peine à parer ses coups, et il reçut des dizaines de taillades de lance ou de machette, qui auraient sans doute été handicapantes sans l'efficacite des sorcelleries qui couraient dans son corps.


Après ce qui parut une éternité à Diwassa de cet échange qu'il supportait à peine, Kissa rompit le contact avec lui et se mit à courir autour de lui, dans un rayon d'environ trois mètres, ses armes au clair. Diwassa, à peine essoufflé, se courba et se mit à pivoter pour suivre le rythme, n'essayant même pas de jouer à son jeu. Il avait assez couru ces derniers jours pour une vie entière, et il connaissait ce mode d'attaque des don'ga. Il avait grandi avec une personne qui rêvait depuis petite d'en devenir une, et faisait partie d'une des meilleures légions d'amazones à l'heure actuelle. Ce n'était donc pas sa première consommation de banga, comme beaucoup de proches de don'ga, quoi que c'était sa première fois de le faire dans la légalité, et pour défendre sa vie.


Kissa se jeta avec un cri de rage à nouveau sur lui, changeant l'ordre de son attaque, pour commencer par la lance. À l'instinct, avec le renfort de ses nouveaux réflexes, Diwassa se saisit de la hampe de la lance avec sa main gauche et attira avec force Kissa sur lui, augmentant la force de son élan. Elle balança alors sa machette avec le cou de Diwassa comme cible, mais leur soudain rapprochement avait annulé la portée initiale de l'attaque, alors que Diwassa les entrainait tous les deux vers le sol, après avoir calé le poignet gauche de Kissa entre son bras droit et sa côte droite. Ils tombèrent ainsi enlacés, la lance de Kissa se plantant dans le sol, tandis que Diwassa avait réussi à caler sa machette entre son corps et celui de Kissa. Il vit la terreur dans les yeux de la don'ga quand ils touchèrent le sol.
Kissa essaya de se lever la main droite pour lever à nouveau sa machette, mais Diwassa la saisit par le poignet, puis la baissa de force, avant de l'emprisonner l'avant-bras avec sa main gauche dans son mouvement d'accolade, qui la pressait contre lui alors que la machette avait commencé à mordre profondément dans ses chairs.


— Chien ! Cracha-t-elle. Lâche !


— Tu utilises sept des huit sorcelleries de Zanate, Kissa. Et celle que tu as toujours négligé pour faire la brave te coûtera la vie ce soir, don'ga.


Alors qu'elle redressait la tête pour le frapper de son crâne, Diwassa détourna la tête au dernier moment pour lui faire frapper le sol, tandis qu'il imprimait à sa main droite des mouvements de découpe qui, renforcés à la sorcellerie, lui faisaient taillader Kissa depuis le haut du sein droit jusqu'à son ventre, dans un mouvement latéral de haut en bas. Son coup de tête lui avait fait s'empaler plus profondément sur la machette. Sous les effets de la sorcellerie de l'opium, elle mourut sans même ressentir la douleur de la plaie qui lui avait fait vider ses tripes chaudes sur Diwassa.

 

Fin du chapitre 9


09/01/2025
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Bonne année - Chapitre 8

Bonne année - Chapitre 8

 

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— Tu ne faisais pas partie des amazones qu'on avait sélectionné pour la Santini Negusi, dit Diwassa pendant qu'il portait son nouveau pantalon.


— En effet, répondit Kissa, debout à quelques mètres face à lui, sur la piste forestière. J'ai rejoint les autres le troisième jour de la traque. Un jour après les jam-negusi, et deux jours après vous. Après tout, je n'avais qu'une seule personne que je comptais retrouver. Le reste m'importait peu, mais finalement, j'ai eu droit à des moments mémorables.


Alors que Diwassa venait de terminer de porter sa tunique, il détailla un instant la silhouette musclée de l'amazone, sa posture détendue, assurée, ses mouvements si fluides qu'il n'en paraissaient qu'à peine humains. Elle est sous banga depuis combien de temps ? Se demanda Diwassa. Aurai-je une chance si je faisais durer les choses assez longtemps pour que les effets des sorcelleries s'estompent ?
Comme si elle avait lu dans ses pensées, elle lui dit d'un ton sec.


— En route. Les gentleman d'abord, ajouta-t-elle avec une tendresse venimeuse dans la voix.


— Il y en a d'autres qui ont survécu ? Ou sommes-nous les derniers membres du rituel ?


— En dehors d'une surprise que je te réserve dans quelques instants, on peut dire que nous sommes les derniers participants encore en vie de cette Santini Negusi. Si je ne m'étais pas infiltrée dans la partie, tu aurais sans doute eu toutes tes chances.


— Tu les as tous tué ? Khari ? Kimane ?


Kissa eut un bref rire.


— Moi ? Mais non, mon cher Diwassa ! J'ai trouvé le corps de l'un d'eux avec deux de mes camarades. Nul doute que son surnom de Fantastique était loin d'être usurpé, et qu'il n'en était pas à sa première consommation de banga. Comme moi et Malika ‒ la folle que vous avez rencontré près du manguier ‒ étions à la poursuite de Khari, je l'ai laissé d'abord bien s'amuser avec ce pleutre, avant qu'on ne poursuive votre traque. Je savais que vous seriez obligés de faire une halte tôt ou tard, et nous avions l'avantage du banga ‒ malgré un handicap que j'avais, que tu découvriras d'ici peu aussi ‒ par rapport à vous. C'est quand j'ai vu que cette idiote n'arrivait pas à se débrouiller pour se débarasser de vous deux ‒ malgré les drogues ‒ que j'ai été obligée de vous signaler ma présence, pour vous confondre et lui donner l'avantage. Quoique… ajouta-t-elle en gloussant, j'aurais sans doute dû au moins estropier le grand muet avant de me lancer à ta poursuite. Il lui a tranché la tête, et a succombé à ses blessures. Elle lui avait planté ses doigts dans les yeux, après tout. C'était horrible à voir. Tous ces cris ! Pathétique.


— Tu es un monstre, Kissa. Ngossi n'avait en rien édulcoré ce qu'elle m'avait dit de toi.


— C'est pour ça que tu me réservais pour la fin ? Ou plutôt parce que tu avais trop peur de moi ? Ou me désirais-tu trop pour pouvoir réussir à me tuer ?


Diwassa se tourna et, à la lumière faible de la lune que les nuages cachaient, il ne put discerner quels traits le visage de son bourreau arboraient en prononçant ces mots. Mais le fait qu'elle l'avait si facilement perçé à jour prouvait encore qu'elle devait être sous l'emprise d'un filon de banga très concentré. Seule la sorcellerie royale, la sorcellerie des esprits, pouvait procurer ce genre de don de clairvoyance sur ses adversaires. Kissa lisait dans son cœur comme dans un papyrus déroulé. Chaque pas qu'il faisait, au lieu de le rapprocher de ce fameux règlement de compte, ne le rapprochait que de la potence.


— Ton filon de la sorcellerie de la force, caché dans ton poing, pourrait bien te donner une chance de plus… sur un millier de me blesser, Marchepied. Nous serons bientôt fixés. Je vois la clairière où j'accomplirai les rites de bannissement sur vos deux cadavres. Vos âmes rejoindront les Terres Sans Dieux ce soir.


— Nos deux cadavres ?


— Avance plutôt, Marchepied.


C'est quand Diwassa arriva dans la vaste butte herbeuse où Kissa avait planté sa machette du côté est qu'il compris le sens des paroles qu'elle lui avait dit plus tôt. Il cessa d'avancer quand il vit qui était assise près d'un petit feu de camp, du côté ouest de la butte cernée par les ombres des arbres trapus de la forêt. Son corps se mit à trembler. De joie ? De soulagement ? De fureur ?


Ngossi Azeufack se tourna alors que Kissa venait de dépasser Diwassa, et ses yeux s'agrandirent sous le choc de la vue de son fiancée, tandis que des sanglots silencieux la secouaient. Le bruit d'un gnou domestiqué qui broutait l'herbe à quelques pas derrière elle, à la limite de la zone où le foyer, lui indiqua comment Kissa s'était déplacée avec elle dans la forêt sans la droguer, sans doute, de peur de lui permettre de résister ou s'enfuir.


— Seuls les membres d'une famille noble ont le droit d'avoir un second nom, le plus souvent celui de leur plus illustre ancêtre, dit Kissa en se plaçant entre le couple paralysé par leurs émotions. Ngossi Azeufack, Kissa Kizangani. Les gueux, eux, n'ont droit qu'à un seul nom. Diwassa. Engolo. Je suppose que ma vieille amie Ngossi t'a raconté comment nous, les sept sorcières de son conte personnel, l'avont racheté du marché des esclaves, après la déchéance de son père, pour l'intégrer dans le bordel que ma mère m'avait légué la gestion, après la mort de mon père. Elle t'a tout dit de comment on se servait d'elle comme prostituée docile auprès des étrangers et des nobles locaux, pour ensuite la saigner, et nous servir de son sang pour avoir du pouvoir sur ses clients, et ainsi les faire chanter. Je ne vais pas démentir cette partie de l'histoire, mon cher Diwassa, le gentleman servant, qui a vengé la vertu de sa bien-aimée sans voix.


Tout en parlant, elle avait commencé à se rapprocher d'une démarche provocatrice de Ngossi, qui se redressa et hésitait entre reculer vers le gnou ‒ sans doute pour prendre la fuite ‒ et essayer de contourner l'amazone pour rejoindre Diwassa, qui fixait le feu du camp avec une seule envie, à présent : y placer le bout de son filon, et absorber toute la sorcellerie de force que le filon lui donnerait, afin d'étrangler l'amazone. Ou, plus probable, mourir en essayant.


Avant que Ngossi ne puisse se décider, Kissa s'élança vers elle et, en moins d'un battement de cœur ‒ alors qu'une dizaine de mètres les séparaient encore ‒, se saisit de la muette par le cou et la souleva à bout de bras, avant de pivoter vers Diwassa, tandis que sa prisonnière tricotait des bras et des jambes dans les airs. Le sourire de Kissa était aussi inquiétant que le venin qu'il y avait dans sa bouche quand elle poursuivit :


— Mais je vais te poser une seule question, Diwassa : t'a-t-elle dit ce que son père avait fait à mes frères ? Au père de Kamaria ? Au frère d'Akamba ? À mon propre frère ? T'a-t-elle parlé des prêts usuriers dont il était friand, pour avoir un prétexte afin de satisfaire ses lubies pédophiles et sadiques sur les proches de ses victimes les plus endettées ? T'a-t-elle parlé de la rivière de larmes qu'il a versé quand il s'est rendu compte qu'un loa avait décidé de le punir, en lui donnant une fille unique muette de naissance ?
— Oui, elle m'en a parlé ! Dit Diwassa. Elle m'a tout dit, espèce de monstre !


Kissa parut surprise que Ngossi ait pu raconter toute cette histoire à Diwassa.


— Elle m'a tout dit, après des lunes et des lunes d'insistance de ma part, car je sentais que ce secret la rongeait. Elle passait son temps à dire qu'elle méritait tout ce que les Dieux lui avaient infligé depuis sa naissance, et tout ce que vous lui infligiez pour satisfaire votre soif aveugle de vengeance. Mais vous ne vous êtes même pas rendues compte que cette justice que vous vouliez abattre sur la seule descendante encore vivante de ce monstre vous avait aussi transformé en la chose que vous haissiez le plus au monde : Ngachou Azeufack.


Kissa se raidit à ses dernières paroles et Diwassa devina, à l'accélération du rythme des agitations de Ngossi, que la pression de l'amazone sur sa gorge venait de s'accroître. La vue de la seule femme au monde qu'il aimait en train de mourir sous ses yeux estompa toute autre forme d'émotion qui l'animait jusque-là, pour ne laisser la place qu'à une seule : la haine pure. Les effets de la fatigue consécutifs à sa dernière consommation de banga, il y avait quelques heures de ça disparurent. Il avait fait une rapide halte pour allumer un petit feu et fumer un de ses deux filons ‒ celui qui contenait la sorcellerie de l'endurance ‒, et s'était arrêté quand il avait commencé à sentir la sorcellerie déserter son corps. À présent, c'était presque comme s'il avait repris la forme de son premier jour de Santini Negusi.


— Ce n'est pas elle qui a tué ta sœur et tes cinq amies de galère, Kissa. Lâche-là. Réglons nos compte, maintenant.


— Tu n'as aucun ordre à me donner, Marchepied.


De sa main droite, elle dégaina une lance à son dos et trancha dans la chair du bras gauche de Ngossi, qui se tordit de douleur alors qu'un flot de sang s'écoulait dans l'herbe depuis son bras. Diwassa s'élança vers elle, vers sa mort. D'un mouvement fluide, Kissa lécha le bout de sa lance ensanglantée, puis cria :


Ossouan !
Pour la première fois de sa vie, Diwassa ressentit les effets de ce sort sur son corps. La main de géant qui vous projette avec violence au sol. Il s'écroula, face dans l'herbe et nez aplati, à moins de dix mètres des deux femmes. Il releva la tête, le nez en sang, et prononça les dernières paroles qu'il s'était imaginé prononcer en cette nuit, celles qui signeraient son arrêt de mort :


A Shani Keondra ! Entends mon appel, ma mère ! Je t'invoque pour réclamer justice pour un de tes enfants !


Kissa, les yeux écarquillés de terreur, poignarda en plein cœur une Ngossi déjà inerte dans sa main avant de la lâcher. Ngossi s'effondra comme une poupée de chiffon. Kissa eut un rire hystérique, reculant malgré tout vers le gnou :


— Tu sais ce que tu viens de faire, Marchepied ? Tu viens de signer ton arrêt de mort !


— De toutes façons je suis déjà mort puisque tu viens de me tuer, dit Diwassa d'une voix faible.
Puis son front, à l'endroit où on avait gravé la glyphe, se mit à lui brûler comme si une centaine d'aiguilles chauffées à blanc étaient en train d'essayer de pénétrer son cerveau sans se presser. Il baignait dans un océan de douleur tel qu'il ne sut pas à quel moment il avait cessé de hurler, ni quand il s'était arraché les ongles dans le sol, à force de le griffer pour extérioriser son martyr. Puis il se rendit compte que de la fumée rouge s'échappait de son front depuis tout ce temps quand, une fois immobile, il la vit se rassembler au centre de la clairière, derrière lui, quelques mètres devant sa machette. Le nuage rouge, brillant de magie et flottant au-dessus de l'herbe, avait la taille d'un grand tonneau et la forme d'un miroir ovale, avec un centre plein de ténèbres palpitantes, un bruit sourd qui résonnait en discordance dans l'air de la forêt, effrayant toutes les bêtes vivantes aux alentours, qui mêlaient leurs cris au chant ténébreux.

 

Fin du chapitre 8


09/01/2025
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Bonne année - Chapitre 7

Bonne année - Chapitre 7

 

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Ce furent une paire de claques violentes ‒ paume et revers ‒ qui ramenèrent Diwassa du royaume de Zanate, le maître des Rêves. Sauf que cette fois, le dieu avait volé à Diwassa le souvenir du rêve qu'il lui avait donné. Diwassa sursauta et chercha sa machette autour de lui, sans la voir.


— Elle est plantée au centre d'une clairière à deux cents pas d'ici, Marchepied, lui dit une voix tendre avec un arrière-goût de venin.


Quand Diwassa identifia sa propriétaire, il crut qu'il était dans un de ces rêves où on croyait s'être réveillé, alors que ce n'était que le début d'un autre rêve. Ou d'un cauchemar, plutôt. Car la propriétaire de cette voix n'était autre que la plus belle amazone qui coursait Ngossi, dans son dernier cauchemar. Ses cicatrices, qui marquaient même son visage, au lieu d'atténuer sa beauté, avaient plutôt un effet inverse sur elle, aux yeux de Diwassa. Sans doute parce qu'elles alliaient bien l'austérité guerrière au charme féminin naturel de cette amazone.


— Kissa Kizangani, siffla Diwassa après avoir craché aux pieds de son adversaire.


Pour toute réponse, Kissa eut un large sourire, juste avant de tendre brusquement son visage vers Diwassa et de pousser leur fameux cri, audible à des kilomètres à la ronde :


— ARRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRIIIIAAH !


Diwassa s'était bouché les oreilles dès le début du cri, mais il n'en manqua pas moins de perdre au moins un tympan après avoir reçu cette trille à moins d'un mètre.


— Dire que c'est comme ça que tu me remercies d'avoir attendu que tu récupères du contrecoup de la sorcellerie qui a failli te permettre de m'échapper, dit-elle avec un sourire quand il retira ses mains de ses oreilles. Ça me donnerait presque envie…


Sans que l'œil de Diwassa ne puisse le voir, elle dégaina une des deux courtes lances qui dépassaient de la sangle à son dos, et la pointe de la lance fit exploser le haut de la pierre où Diwassa s'était adossé pour dormir. Un pouce plus près, et c'était la tête de Diwassa qui subissait le même sort.


— … De te tuer sur le champ, acheva-t-elle en baissant la lance. Allez. Debout. Il y a un pantalon et une tunique neufs derrière ton lit. Tu t'es souillé pendant ton sommeil. Ou ta fuite. Peu importe.  Change-toi, puis tu me suivras pour notre règlement de compte. Je ne tue pas les merdeux.


C'est quand elle évoqua sa situation que Diwassa perçut l'odeur de sa souillure. À manger des mangues pourries, voilà les conséquences, pensa-t-il, sans pour autant éprouver de la honte face à son bourreau.
Et celle qu'il aurait aimé tuer avant de partir en prison. Sa septième et dernière victime, la cheffe du gang qui s'était servi de Ngossi comme arme sexuelle pendant plus de huit ans.

 

Fin du chapitre 7


09/01/2025
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Bonne année - Chapitre 6

Bonne année - Chapitre 6

 

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— Le Negus ne se battait pas avec la Negusi avant de s'unir à elle, dit Engolo.


Ils avaient décidé de faire une halte pour se chercher de quoi manger. Kumane avait dégoté un manguier plein de mangues presque pourries, et ils s'étaient assis en demi-cercle autour de l'arbre pour manger la récolte du grand muet, qui avait grimpé l'arbre pour faire tomber le maximum de mangues. Engolo ne s'était pas arrêté de peler sa mangue avec ses dents pour parler.


— Comment tu en sais autant sur comment se passaient leur vie conjugale ? Demanda Diwassa. On croirait presque que vous, les prêtres, êtes la seule référence pour savoir la vérité sur les choses du temps d'avant.


— Les prêtres de Sekou sont pour la plupart des rustres avides de vengeance, qui mêlent autant des fantaisies à la réalité, quand ils prêchent sur la vie du couple divin, ou même sur le danger que représentent les femmes. La plupart ‒ pour ne pas dire tous ‒ gardent une rancune tenace à la Negusi pour avoir assassiné notre dieu. Moi j'ai eu un formateur plus… équilibré, disons. Voilà pourquoi j'accorde plus de foi à ce qu'il m'a transmis, que je transmet moi aussi comme je l'ai appris.


— Si tu le dis, dit Diwassa en ramassant une autre mangue plus mûre que pourrie après avoir jeté le noyau de celle qu'il venait de dévorer, asticots compris.


— Oui, je le dis, dit Engolo, un sourcil arrogant levé. Quoiqu'il en soit, poursuivit-il après s'être calmé, les nuits où le couple divin se décidait à… satisfaire leurs désirs charnels l'un pour l'autre, il se raconte que la lune elle-même vibrait sous les émissions sonores qu'ils produisaient tous les deux. Nul ne sait par contre si c'était de plaisir ou de douleur. Les rares personnes à y avoir participé ont toujours été retrouvées mortes le lendemain matin. Leurs corps couverts de morsures et de coups de fouets.


— Sekou Tout-Puissant, s'exclama Diwassa malgré lui, provoquant l'hilarité de ses deux compagnons.


— Tu l'as dit. Ce qui est sûr, c'est que leur façon de s'aimer l'un l'autre était un mystère pour le reste du monde. Certaines prêtresses de Sha… de la Negusi, racontent que notre déesse a tué le Negus pour empêcher une catastrophe menaçant le monde entier d'arriver. D'autres disent que ce n'est pas elle qui l'a tué, et d'autres enfin racontent que le conseil des notables était impliqué dans cet assassinat. Toujours est-il que tous les témoins de cet évènement sont morts, à l'heure actuelle.


— Excepté la Negusi, signa Kimane à l'intention d'Engolo, et Diwassa traduisit pour lui.


— Excepté la Negusi, opina Engolo.


Kimane hocha la tête, pensif, avant de se relever de terre, se tapotant l'arrière du pantalon de toile élimé pour en retirer la terre et les feuilles qui s'y étaient accrochées.


— Je vais pisser, dit-il dans la langue des signes. Les mangues ont au moins étanché ma soif.


— La mienne aussi, répondit Diwassa. Tu as encore soif, Engolo ?


— J'ai bu de l'eau de la rivière qu'on a traversé ici quelques heures plus tôt. Mongo a dit qu'on ne croiserait qu'un seul cours d'eau avant d'arriver au poste-frontière en lisière de la forêt, où les amazones doivent nous attendre.


Diwassa soupira de désespoir. Dans sa course effrénée pour semer ses poursuivantes potentielles, il en avait oublié de boire de l'eau pendant qu'il traversait la rivière. Une chance qu'ils avaient trouvé ce manguier. Auquel cas, il ne savait pas comment il aurait fait pour tenir le reste de la journée, sans boire. Le soleil avait amorcé sa descente durant leur cueillette, aussi ne leur restait-il que moins de douze heures à tenir encore, avant de se voir libéré.


Ossouan !
À ce cri venu de quelque part au sud de l'arbre, Diwassa sentit son corps entier parcouru de frissons violents, qu'il contint du mieux qu'il put en se relevant. Engolo, par contre, fut projeté en avant comme si la main d'un géant venait de le précipiter vers le sol. Il poussa un bref cri de surprise. Ou de douleur. Alors que Diwassa se relevait, machette au clair, et scrutait les alentours pour repérer la femme qui venait de crier la formule d'asservissement, il entendit Engolo lui dire, tandis qu'il essayait de se relever après le choc.


— Non ! Tu dois t'enfuir. C'est une seule femme. On peut gérer, ajouta-t-il en regardant dans la direction d'où était parti Kimane se soulager. Fuis !


Diwassa hocha la tête et s'apprêtait à sortir le filon de banga de sa poche quand la femme cria :


Osumbu !

 

Diwassa eut encore cette même sensation de frisson sur tout le corps, et bascula vers l'avant même. Les feuillages bruissaient alors que leur attaquante se rapprochait. Il jeta un coup d'œil vers Engolo, et vit le prêtre de Sekou aplati sur la terre meuble, le visage enfoui sous un doigt de terre, comme si un géant venait de le piétiner avec l'intention de l'enterrer vivant.


— Salope ! Hurla Diwassa, les larmes aux yeux alors que sa main droite avait les phalanges blanchies à force de serrer sa machette, qu'il brandit au-dessus de sa tête quand il poursuivit.


— Viens sans magie si tu es une vraie amazone !


— Mais je ne suis pas une amazone, mon mignon, lui répondit la femme d'une voix mielleuse, toujours invisible, avant de crier : Nyamahi !


Cette fois, le corps d'Engolo se mit à avoir des convulsions si violentes qu'elle l'extirpèrent de terre, alors que le prêtre essayait en vain de contrôler les effets du sorts sur lui. Mais il était inutile de lutter. La formule magique qui donnait l'ascendant aux femmes sur les hommes avait l'effet sur tout homme qui avait eu un contact charnel de nature sexuelle avec une femme.


Avant de les relâcher dans la forêt le premier jour de la Santini Negusi, les jam-negusi, les chasseuses, avaient le droit d'embrasser les hommes qu'elles souhaitaient tuer. Elles leur touchaient l'entrejambe pour s'assurer que le baiser avait l'effet escompté, achevant d'activer le sort. Parfois rien ne se passait, et la chasseuse déçue devait jeter son dévolu sur une autre proie. Mais ces situations d'inaction de la bête dans les pantalons des victimes de la Santini Negusi étaient rares. On ne pouvait pas demander à des hommes n'ayant eu aucun contact intime avec un autre être humain de retenir leur libido, face à des femmes bien arrangées pour vous séduire, afin de vous tuer dans les jours qui suivraient.
La formule d'asservissement avait quatre parties dans son évocation : Ossouan, Osumbu, Nyamahi et Awu. Une femme n'utilisait le sort en entier que quand elle voulait tuer sa cible, car en prononçant le sort jusqu'à Awu, l'homme se mettait à transpirer du sang par tous les pores de sa peau, jusqu'à en mourir. Au cas où elle était confrontée à plusieurs cibles, le sort n'était efficace que sur l'homme qu'elle ciblait le plus avec son pouvoir d'asservissement. Diwassa avait compris qu'ils venaient de tomber sur une chasseuse civile, qui n'avait aucun honneur à défendre pour avoir tué lâchement des criminels lors de la Santini Negusi.


— Ffffff-uuuu-iiiiiis… grelotta Engolo, juste avant que la chasseuse ne crie à nouveau, à moins de dix mètres en haut du talus buissoneux au sud qui menait au manguier.


Awu !


Diwassa cria de rage, avant de courir vers la chasseuse, qui eut l'air effrayée par sa charge :

 

— J'ai dit : Awu ! Grinça-t-elle alors que la main qui tenait sa lance tremblait, dans sa maladroite position de garde.


Diwassa faillit lui crier pourquoi son sort ne pouvait pas fonctionner sur lui, mais se contenta de pousser un cri de guerre, reconnaissant la femme comme une de celles qui l'avaient embrassé. Elle sembla laisser une image floue d'elle avant de se projeter, lance vers l'avant, sur Diwassa, tellement elle s'était déplacée vite. Elle est sous banga, pensa Hasana. La sorcellerie des réflexes. Elle avait visé le cœur de Diwassa, qui para in extremis d'un revers de machette, avec l'intention d'écarter la lance de son corps. Du moins il essaya. La pointe de la lance rifla sur son torse et son bras en s'écartant vers le haut, et Diwassa balança son poing gauche avec un grognement et toute l'énergie que son mouvement vers l'avant lui avait donné.


Son crochet aurait dû la projeter au sol, peut-être en lui arrachant une ou deux dents. Il se contenta de balancer la tête de la chasseuse sur la gauche, peu avant que l'élan de la course de Diwassa ne l'envoie dans les bras de la chasseuse, qui encaissa l'impact sans tomber, mais surprise par leur étreinte. Diwassa se saisit avec sa main gauche de la main droite de la chasseuse, qui tenait encore la lance. Elle hurla de rage et envoya son poing gauche dans les côtes de Diwassa. Il eut l'impression qu'une énorme pierre venait de s'abattre sur son côté, et grogna avant de lever sa machette, avec l'intention de décapiter son adversaire. Elle se saisit elle aussi de son poignet avant sa frappe, et Diwassa sentit qu'à ce duel de force physique, en dépit de son énergie récupérée grâce à son repas, il ne parviendrait pas à s'en sortir vainqueur. Il avait perdu au moins dix kilos sur les quatre-vingt qu'il faisait avant son emprisonnement, et avait tenu déjà six jours dans un milieu hostile, sans dormir plus de quatre heures par jour au total. Il en était à peine au tiers de sa force naturelle. La chasseuse parut se rendre compte de cette inégalité, car un sourire étira ses lèvres charnues sous son visage aux traits réguliers, sans doute beaux quand ils n'irradiaient pas autant de folie meurtrière :


O… commença-t-elle
Une ombre venue du côte droit de Diwassa se jeta sur la chasseuse, au niveau de ses côtes, interrompant par là-même sa formule. Diwassa suivit ce mouvement malgré lui, et parvint à garder l'équilibre sans tomber avec la chasseuse et son nouvel adversaire. Qui n'était autre que Kimane, vêtu en tout et pour tout de sa tunique déchirée de partout. Le bas de son corps nu, il se dressait à califourchon au-dessus de la chasseuse et, de sa seule force physique, parvenait à tenir les deux mains de la femme, qui se débattait pour se libérer de sa poigne.


— Lâche-moi, espèce de gros porc ! Ossouan ! Ossouaaaaaan !
Malheureusement pour elle, Kimane ne faisait pas partie des proies qu'elle avait embrassé au début de la cérémonie. Son pouvoir d'asservissement n'avait donc pas de prise sur lui. Diwassa s'avançait déjà, machette en main, pour l'aider à tuer leur poursuivante quand un long hurlement en trille résonna. Des nuées d'oiseaux quittèrent leur perchoir un peu de partout, au moins aussi effrayés que l'était Diwassa. Kimane et la chasseuse s'étaient figés dans leurs mouvements en entendant le cri, qui semblait provenir du sud ou de l'est. Une amazone.


— Elle arrive enfin ! Jubila la chasseuse. Vous êtes cuits ! Lâche-moi !


Kimane échangea un regard avec Diwassa, qui compris sans qu'il ne lui fasse de signe avec les mains : Fuis.
À deux contre deux, avec une amazone parmi les adversaires, et juste deux filons, ils n'avaient aucune chance de s'en sortir vivants. Comprenant que le temps leur faisait défaut, c'est en poussant un cri de rage que Diwassa s'éloigna de Kimane et leur adversaire pour aller récupérer la pierre à feu d'Engolo, qu'il avait pu garder, alors que Diwassa avait perdu la sienne durant sa fuite du matin.


Engolo était étendu sur le dos, les yeux ouverts, cornées rouges de sang, comme le reste de son corps. La terre avait déjà bu une bonne partie du fluide vital du prêtre, mort sans même pouvoir se défendre. Diwassa sortit la pierre à feu, poisseuse de sang, de la poche de son précédent propriétaire. Il lui ferma les yeux, au même moment où il entendit une seconde trille vibrant dans l'air lourd de la forêt, promesse de mort pour les proies que l'amazone avait choisi. Avec ce cri, elle leur annonçait sa venue, car les amazones ne craignaient personne. C'était normal, puisque la moitié d'entre elles étaient des consommatrices régulières de banga. Une soldate surentrainée, aidée des sorcelleries du banga, était aussi dangereuse qu'une dizaine de soldats ordinaires dans la fleur de l'âge. Au minimum. Les fumeuses régulières de banga étaient appelées don'ga, et une lieutenant don'ga valait au moins une vingtaine de soldats ordinaires.


Diwassa prit ses jambes à son cou comme un rat devant un épervier.

 

Fin du chapitre 6


09/01/2025
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Bonne année - Chapitre 5

Bonne année - Chapitre 5

 

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Le plan qu'ils avaient concocté un jour plus tôt était assez simple. Après avoir fait l'inventaire de leur nombre de filons de banga, ils s'étaient rendu compte qu'il n'en avaient que cinq. Ils avaient décidé de maximiser leurs chances en faisant une réunion de leurs filons, pour qu'un seul homme ait l'avantage d'avoir plus d'une seule sorcellerie à son arsenal. Dulani avait allumé le sien ‒ plein d'opium, qui avait la sorcellerie anti-douleur ‒ pour atténuer la douleur de son dernier combat contre une des femmes du rituel. La femme ‒ sans doute une civile victime de Khari ‒ l'avait laissé agonisant, après avoir abîmé la glyphe sur son front pour rameuter les bêtes sauvages sur lui. Sans Engolo, il n'aurait pas pu restaurer cette protection de la chamane, destinée à éviter que les prisonniers ne soient les proies d'autres personnes que les jam-negusi, les chasseuses de la Negusi, en ces nuits qui lui étaient dédiées.
Peu avant leur repos dans le camp quelques heures plus tôt, Mongo avait réfléchi, puis conclu qu'il était plus prudent de diviser pour mieux régner. Il valait mieux que la tâche d'avoir les filons revienne à deux hommes. Mongo serait le premier, Dulani le second. Au cas où une seule chasseuse civile les retrouvaient, ils s'étaient décidés de ne pas user des filons pour se débarasser d'elle, même si elle était sous banga. Les civiles n'étaient pas habituées à utiliser les diverses sorcelleries que donnaient le banga, et à l'usure, il était probable qu'ils pouvaient la vaincre.


Au cas où c'était une chasseuse amazone, ils avaient décidé de laisser un des hommes la ralentir, afin de donner une chance au reste du groupe de s'échapper. Les filons qu'on donnait aux chasseuses de cette cérémonie concentrait plus de sorcellerie que ceux qu'on donnait à leurs proies, et la seule manière de rivaliser avec elles était encore de joindre plusieurs filons simplifiés pour faire de leur utilisateur un adversaire assez redoutable pour elle.


Au cas où ils devaient rencontrer deux amazones ‒ il n'y en avait que deux assignées pour la Santini Negusi, le plus souvent ‒, ils avaient décidé de confier tous leurs filons à un seul homme, afin qu'il puisse avoir le maximum de chances contre elles. Autant qu'un buffle malade en aurait face à une meute de lionnes, mais c'était mieux que celles qu'il en aurait eu sans. Sans banga, il aurait ressemblé à une antilope boiteuse.


Diwassa rattrapa Kumane et Engolo peu après l'aube, alors qu'il venait de traverser l'un des petits bras de la Sanga, l'une des deux grandes rivières qui couraient dans la forêt de Lhakam. Leur campement devait être à près de douze kilomètres au sud, maintenant. L'instinct de survie donnait des ailes temporaires, qui faisaient mal quand elles se détachaient de vous. Quand il vit ses compagnons de fortune, effondrés dans une petite clairière à flanc de coteau devant lui, il s'écroula à son tour dans les ronces pour reprendre son souffle. C'est quand son cœur cessa de battre contre ses oreilles, et que la canopée au-dessus de sa tête cessa de tourner, qu'il se risqua à se relever pour les rejoindre d'un pas faible. Son corps était couvert de nouvelles écchymoses et égratignures, consécutives à ses nombreuses chutes et chocs accidentels pendant sa fuite dans les ombres précédant le jour dans la forêt.


— Tu les as semées ? Demanda Engolo d'une faible voix, l'air vieilli de plus de dix ans.


— Aucune idée, répondit Diwassa après avoir jeté sa machette devant lui pour s'affaler près des deux autres hommes. Je courais seulement.


— Elles ont tué Dulani, signa Kumane lentement, reprenant toujours son souffle malgré sa silhouette impressionnante.


— Oui, je sais, dit Diwassa dans la langue des signes, tout en parlant aussi pour qu'Engolo comprenne. J'ai vu son cadavre. Dulani est mort.


— J'ai bien deviné, dit Engolo. Quoi d'autre aurait autant effrayé Khari pour qu'il en oublie sa cervelle ?


— C'est une bonne nouvelle qu'il n'ait pas emprunté la même route que nous. Mongo m'a dit qu'elles prennent en chasse les proies les plus isolées en priorité. Les groupes laissent plus de traces, de toutes façons, et leurs pistes sont donc plus faciles à remonter, même à la dernière minute.


— Que Sekou nous protège, dit Engolo.


— Je serais presque tenté de lui demander ce qu'il attend pour faire cesser cet enfer que nous subissons.


Engolo, trop las pour protester, se contenta de lancer un regard de reproche à Diwassa.


— J'emmerde Sekou, signa Kumane avec colère.


Interdit, Diwassa fixa le muet un long moment, s'attendant presque à voir le Negus décédé apparaître au milieu d'eux pour tous leur trancher la tête.


— Qu'est-ce qu'il vient de dire ? Demanda Engolo.


— Si je te le transmets, je suis prêt à parier que tu trouveras mieux que des cendres pour les lui balancer à la figure.


Engolo en eut la bouche bée un instant, avant de soupirer en se tapant une main sur la figure.


— Ce doit vraiment être la fin du monde si même les muets insultent Le Gentleman sans représailles.


— Il avait qu'à être plus tendre avec sa folle d'épouse s'il ne voulait pas qu'elle fasse bien pire que lui, après l'avoir tué. Les époux ne sont pas censés se battre avec leurs femmes pour copuler.


— Mais qui t'a raconté de pareilles âneries sur la mythologie d'Alaba, mon ami ? S'exclama Engolo.


— La même personne qui m'a appris la langue des signes, répondit Diwassa, gêné.


— Elle a appris sa théologie alabasi où ? Dans un bordel ?


— Littéralement.

 

Engolo se mordit la lèvre.


— Tout s'explique alors.


Il se redressa.


— Nous ferions mieux de discuter en avançant vers le nord. Je préfère que ces jam-negusi nous rattrapent avec le plus de difficultés possibles, si vous voulez bien.


Les deux autres prisonniers l'imitèrent, et ils arpentèrent la piste rocailleuse qui menait vers l'autre bout de la forêt de Lhakam.

 

Fin du chapitre 5


09/01/2025
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Bonne année - Chapitre 4

Bonne année - Chapitre 4

 

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Ce furent les ricanements hystériques de Khari qui réveillèrent Diwassa, qui redressa son torse après avoir ramassé sa machette, pour fixer l'est du camp, où l'ombre d'un Khari en course était moins distincte que ses cris de dément. Moins de cinq battements de cœur après ses cris, le reste du campement était debout et armé de leurs machettes, la faible lumière des étoiles leur permettant de voir à plus de cinquante pas à la ronde, sauf du côté ouest, où une butte de terre surplombait leur camp improvisé.


— Le pauvre fou, grogna Mongo en faisant des moulinets avec sa machette. On avait dit : plein nord.


— Où est Dulani ? demanda Engolo.


Kumane, qui avait pris la direction du sud, vers les deux arbres que Diwassa et Engolo avaient pris comme poste de veille plus tôt, se mit à agiter son bras libre avec frénésie, invitant le reste du camp à le rejoindre. Alors que les autres le rejoignaient déjà, les traits de Kumane se figèrent alors qu'il fixait un point plus loin au sud, avant de s'acroupir moins d'un battement de cœur plus tard. La fumée du filon de banga qu'il tirait dessina une arabesque grise, et le sifflement d'une sagaie la dispersa. La sagaie se planta en vibrant au pied d'un arbre de l'autre côté du camp. La chasseuse devait avoir visé depuis la branche d'un des safoutiers dans le bosquet devant.


— Filez, les gars ! Cria Mongo. Kumane, donne moi ce filon, j'en aurai besoin !


Alors que Kumane était déjà en train de s'enfuir, Diwassa l'attrapa par l'épaule et lui arracha le filon de banga qu'il avait dans la bouche. Engolo était déjà en train de s'enfuir plein nord. Alors que Mongo se rapprochait de Diwassa pour lui prendre le filon de Kumane, Diwassa remarqua alors qu'une forme sombre était debout derrière l'arbre vers lequel Kumane les invitait un instant plus tôt à rejoindre. La main droite de la silhouette était absente. Dulani.


— Il est déjà mort, lui dit Mongo après avoir pris le filon de Kumane. Allez, file, gamin. Je vous rejoins dans un instant.


Un cri aigu plein de trilles se mit à résonner dans la forêt en provenance du sud. Diwassa sentit ses membres trembler de terreur pure malgré lui. Un second cri similaire se mêla au premier, et Diwassa tendit la tête en direction de la cime des arbres devant lui. Deux amazones. Deux don'ga.


— Allez, file, je te dis ! Lui ordonna Mongo en lui saisissant l'épaule de sa main qui tenait déjà deux filons.


Il prit le filon que lui tendait Diwassa ‒ celui, allumé, de Kumane ‒. Il donna deux filons non allumés à Diwassa, qui les accepta sans rechigner, malgré sa surprise.


— Elles ne doivent pas t'avoir à portée de leur sort, ajouta Mongo. La survie du reste du groupe dépend maintenant de toi, puisque Dulani est mort. Restez en vie, surtout. Je vais les ralentir.


— Ne meurs pas, Le Fantastique.


— J'ai toujours rêvé de me taper au moins deux amazones, avant de crever.


Diwassa était déjà à une centaine de mètres de Mongo quand il freina sa course pour lui lancer un dernier coup d'œil. Le vétéran venait de finir d'allumer ses deux autres filons de banga, qu'il planta dans sa bouche avant de tirer dessus fort. Diwassa n'avait encore jamais vu de don'man, mais avec cette image du sexagénaire, debout, deux machettes en main ‒ la sienne et celle de Dulani ‒, torse nu et crâne rasé, la fumée de banga flottant autour de lui, alors que les cris de ses deux attaquantes réveillaient la forêt avant l'aube, donna à Diwassa l'impression que Mongo ne devait pas dépareiller devant l'un de ces légendaires guerriers. Ces guerriers qui étaient absents du royaume d'Alaba.
Non, Alaba n'avait que des don'ga.

 

Fin du chapitre 4


09/01/2025
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Bonne année - Chapitre 3

Bonne année - Chapitre 3

 

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3


— Crois-tu vraiment que Sekou reviendra un jour ?


C'étaient les premiers mots de Diwassa depuis le retour de leur patrouille silencieuse en lisière de leur camp, une demi-heure après le début de leur tour de garde. Malgré le fait que Diwassa avait chuchoté ses mots, Engolo les entendit, alors qu'il se trouvait à un mètre de lui, adossé à un arbre, face aux quatre autres prisonniers qui dormaient.


— C'est la Negusi qui a tué Sekou, répondit Engolo après un moment de réflexion. Mais comme elle, Sekou est immortel. Il va se réincarner lui aussi, un jour. Et il viendra revendiquer le trône qu'elle lui a usurpé.


— Je croyais qu'avant, ils régnaient ensemble.


— C'était le cas. Mais Sekou était le Negus, et Sha…(il se rappela le danger de prononcer le vrai nom de la Negusi, et s'interrompit à temps) la Negusi était la Negusi. Comme le jour et la nuit. Le soleil et la lune. Mais la lune a tué le soleil, et depuis, seules les ténèbres règnent à Alaba.


— Les femmes disent qu'au temps du Negus, c'étaient les hommes qui opprimaient les femmes. Comme dans les autres royaumes. Elles disent qu'ils les commandent, les oppriment et les violent. Qu'ils leur sont supérieurs.


— Supérieurs ? Vraiment ? Et qui t'a raconté ça ?


Diwassa se sentit rougir et se mordit la lèvre avant de reporter son attention de l'autre côté de l'arbre où il était adossé, face à celui d'Engolo. Il ne voulait pas lui dire que ses révélations venaient d'une muette qui n'en savait sans doute pas grand chose, ni du temps d'avant la Santini Negusi, ni du reste du monde. En dehors de ce que ses clients et ses compagnes de galère du bordel où elle travaillait lui bourraient le crâne.


Engolo eut un bref ricanement quand il constata l'embarras que sa question avait provoqué chez son compagnon de garde.


— Au fond, personne ne sait vraiment comment étaient ces temps-là. Personne à part la Negusi. Les premières décennies de son règne, elle s'est assurée de nettoyer le royaume de la moindre trace d'homme susceptible de fomenter une rébellion, ou d'aller à la quête de l'Elu, qui doit revenir pour rétablir l'équilibre des pouvoirs. Les vagues de massacres qui ont eu lieu par la suite ont vu l'essentiel des fidèles et alliés de Sekou disparaître avec lui. Depuis, les femmes règnent. Et avec leur fameuse formule d'asservissement, les seuls hommes en sécurité sont maintenant les puceaux. Voilà pourquoi la seule chance qu'elles avaient de m'avoir en leurs pouvoirs était de me faire participer à cette cérémonie.


Diwassa hocha la tête. Dans son cas, avant son emprisonnement, en dehors de sa mère, une seule femme avait le pouvoir de l'asservir avec cette maudite formule magique. À présent, cinq des chasseuses de la Santini Negusi de cette fin d'année avaient choisi de l'embrasser. Si une seule d'entre elles était encore en vie, Diwassa était théoriquement en danger.


Il lança un coup d'œil vers Khari et eut un sourire attristé pour le malheureux. De tous les crimes dans le royaume d'Alaba, celui des viols en série étaient parmi les plus haïs. En termes de nombre de victimes, Khari était le criminel le plus capé de cette année. Il était le seul prisonnier que les quinze chasseuses avaient embrassé. Le seul aussi qu'aucune n'avait eu à toucher l'entrejambe durant le baiser pour s'assurer que le sortilège de liaison fonctionnait bien pour lui. Quand on réussissait à violer une cinquantaine de femmes, de cinq à soixante-quinze ans, on ne pouvait qu'avoir un désir aveugle pour la chose. La moitié des chasseuses faisait partie de la poignée de femmes qu'il n'avait pas tué pendant son règne terrible dans les rues d'Okola.


Diwassa repensa à son propre cas et une vague pure de désespoir l'accabla. Le crime le plus détesté des femmes d'Alaba était bien évidemment le féminicide. En commettre un seul nous mettait en danger de Santini Negusi avant les vingt ans de prison automatique auxquels le crime exposait. Le plus souvent, dans les cinq premières années, le criminel participait à sa première ‒ et souvent dernière ‒ Santini Negusi.


Diwassa n'avait même pas purgé sa première année de prison avant d'avoir cette récompense pour ses crimes. Il ne s'attendait pas vraiment à moins que ça, pour avoir assasiné six femmes.

 

Fin du chapitre 3


09/01/2025
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Bonne année - Chapitre 2

Bonne année - Chapitre 2

 

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Une fois de plus, Diwassa rêva de Ngossi. Elle était en train de courir dans les ruelles d'Okola, un vieux pagne couvrant le bas de son corps, alors que sa poitrine tressautait au rythme de ses pas. La poitrine nue était l'apanage des servantes, des prostituées et de la Negusi. Trois femmes poursuivaient Ngossi, une grosse au visage aussi poupin que celui de Khari, en kaba blanc, le teint aussi noir que celui de Diwassa. La seconde portait le pantalon des amazones et avait la poitrine entourée de bandages, la main droite tenant une courte lance, la gauche une machette. La troisième était aussi grande que Diwassa, le teint clair, avec un visage agréable à regarder et la même tenue d'amazone que la première, sauf que son corps était couturé de cicatrices, et ses cheveux tressés en longues dreadlocks attachées en catogan derrière elle. Il les avait bien distinguées quand elles s'étaient arrêtées près d'un angle de rue que Ngossi venait d'emprunter quelques battements de cœur plus tôt.


Les trois jeunes femmes échangèrent quelques mots en ricanant, avant de se lancer à la poursuite de leur proie. Diwassa voulait leur hurler sa haine, détourner leur attention pour que Ngossi puisse leur échapper. Mais pouvait-on vraiment échapper à des personnes sous banga ? Leurs pas étaient plus fluides que ceux de Ngossi, et cette dernière ne pouvait pas appeler à l'aide, malgré la nuit sombre et les maisons qu'elle traversait. Elle était muette. La proie parfaite pour trois sadiques.


Diwassa sentit que quelqu'un lui secouait doucement l'épaule alors qu'il essayait de hurler dans son rêve, et il se réveilla en frissonnant. Les cauris des locks d'Engolo lui caressèrent le visage un instant plus tard.


— C'est notre tour de garde, lui chuchota-t-il.

 

Fin du chapitre 2


09/01/2025
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