L'Empire d'encre et de mots

Bonne année - Chapitre 3

Bonne année - Chapitre 3

 

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3


— Crois-tu vraiment que Sekou reviendra un jour ?


C'étaient les premiers mots de Diwassa depuis le retour de leur patrouille silencieuse en lisière de leur camp, une demi-heure après le début de leur tour de garde. Malgré le fait que Diwassa avait chuchoté ses mots, Engolo les entendit, alors qu'il se trouvait à un mètre de lui, adossé à un arbre, face aux quatre autres prisonniers qui dormaient.


— C'est la Negusi qui a tué Sekou, répondit Engolo après un moment de réflexion. Mais comme elle, Sekou est immortel. Il va se réincarner lui aussi, un jour. Et il viendra revendiquer le trône qu'elle lui a usurpé.


— Je croyais qu'avant, ils régnaient ensemble.


— C'était le cas. Mais Sekou était le Negus, et Sha…(il se rappela le danger de prononcer le vrai nom de la Negusi, et s'interrompit à temps) la Negusi était la Negusi. Comme le jour et la nuit. Le soleil et la lune. Mais la lune a tué le soleil, et depuis, seules les ténèbres règnent à Alaba.


— Les femmes disent qu'au temps du Negus, c'étaient les hommes qui opprimaient les femmes. Comme dans les autres royaumes. Elles disent qu'ils les commandent, les oppriment et les violent. Qu'ils leur sont supérieurs.


— Supérieurs ? Vraiment ? Et qui t'a raconté ça ?


Diwassa se sentit rougir et se mordit la lèvre avant de reporter son attention de l'autre côté de l'arbre où il était adossé, face à celui d'Engolo. Il ne voulait pas lui dire que ses révélations venaient d'une muette qui n'en savait sans doute pas grand chose, ni du temps d'avant la Santini Negusi, ni du reste du monde. En dehors de ce que ses clients et ses compagnes de galère du bordel où elle travaillait lui bourraient le crâne.


Engolo eut un bref ricanement quand il constata l'embarras que sa question avait provoqué chez son compagnon de garde.


— Au fond, personne ne sait vraiment comment étaient ces temps-là. Personne à part la Negusi. Les premières décennies de son règne, elle s'est assurée de nettoyer le royaume de la moindre trace d'homme susceptible de fomenter une rébellion, ou d'aller à la quête de l'Elu, qui doit revenir pour rétablir l'équilibre des pouvoirs. Les vagues de massacres qui ont eu lieu par la suite ont vu l'essentiel des fidèles et alliés de Sekou disparaître avec lui. Depuis, les femmes règnent. Et avec leur fameuse formule d'asservissement, les seuls hommes en sécurité sont maintenant les puceaux. Voilà pourquoi la seule chance qu'elles avaient de m'avoir en leurs pouvoirs était de me faire participer à cette cérémonie.


Diwassa hocha la tête. Dans son cas, avant son emprisonnement, en dehors de sa mère, une seule femme avait le pouvoir de l'asservir avec cette maudite formule magique. À présent, cinq des chasseuses de la Santini Negusi de cette fin d'année avaient choisi de l'embrasser. Si une seule d'entre elles était encore en vie, Diwassa était théoriquement en danger.


Il lança un coup d'œil vers Khari et eut un sourire attristé pour le malheureux. De tous les crimes dans le royaume d'Alaba, celui des viols en série étaient parmi les plus haïs. En termes de nombre de victimes, Khari était le criminel le plus capé de cette année. Il était le seul prisonnier que les quinze chasseuses avaient embrassé. Le seul aussi qu'aucune n'avait eu à toucher l'entrejambe durant le baiser pour s'assurer que le sortilège de liaison fonctionnait bien pour lui. Quand on réussissait à violer une cinquantaine de femmes, de cinq à soixante-quinze ans, on ne pouvait qu'avoir un désir aveugle pour la chose. La moitié des chasseuses faisait partie de la poignée de femmes qu'il n'avait pas tué pendant son règne terrible dans les rues d'Okola.


Diwassa repensa à son propre cas et une vague pure de désespoir l'accabla. Le crime le plus détesté des femmes d'Alaba était bien évidemment le féminicide. En commettre un seul nous mettait en danger de Santini Negusi avant les vingt ans de prison automatique auxquels le crime exposait. Le plus souvent, dans les cinq premières années, le criminel participait à sa première ‒ et souvent dernière ‒ Santini Negusi.


Diwassa n'avait même pas purgé sa première année de prison avant d'avoir cette récompense pour ses crimes. Il ne s'attendait pas vraiment à moins que ça, pour avoir assasiné six femmes.

 

Fin du chapitre 3



09/01/2025
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